La vie d’un technicien sur la tournée de Johnny Hallyday

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Un reporter du Parisien a eu l’excellente idée de se glisser dans la peau d’un technicien travaillant sur la tournée de Johnny Hallyday pendant deux jours.

 

Les “roadies” sont les hommes de l’ombre qui assurent un spectacle sans fausse note. Plongée dans leur univers pour découvrir l’envers du décor !

Vous les voyez furtivement sur scène tester les micros avant un concert, vous êtes impressionné par la rapidité avec laquelle ils démontent les décors dès que les lumières se rallument. Pas de spectacle, pas de tournée, et donc pas d’artiste sans roadies. Comme ce terme anglais dérivé du mot road — la route — l’indique, le roadie suit les artistes sur la route et œuvre dans leur ombre pour que la magie opère.

Nous étions convenus depuis longtemps de prendre les gants, le casque, les chaussures de sécurité et le salaire — 170 € brut pour une session de huit heures — d’un roadie sur la tournée de Johnny Hallyday, la plus grosse du moment en France, tant en nombre de dates — 70 jusqu’à l’été prochain — que de personnes sur la route : 104 ! Après les attentats, le chanteur a maintenu ses deux concerts d’Amnéville (Moselle), mardi et mercredi dernier. Il n’y avait donc aucune raison que je ne me retrousse pas les manches. Au contraire.

L’expérience s’annonçait forte, l’émotion suivant le drame du Bataclan l’a rendu inoubliable. Car tous les membres de l’équipe du « grand », comme ils l’appellent, avaient des amis et des confrères dans la salle parisienne. Pendant deux jours et trois nuits, nous avons partagé bien plus que des courbatures, des caisses à pousser, des guitares à régler, des carottes à éplucher… Ce reportage, qui s’est invité jusque dans les cuisines et les loges, est un hommage au travail, au talent et à l’esprit d’équipe de tous les techniciens de ce spectacle que l’on dit vivant. « Show must go on », plus que jamais. En concert vendredi, samedi et dimanche (complet), puis les 2 et 3 février à l’AccorHotels Arena, en tournée dans toute la France jusqu’en avril et dans les festivals d’été…
La responsable de la logistique de la tournée, Marie-Pierre Bussac, m’a fixé rendez-vous près de la gare de Lyon. C’est là que stationnent lundi à minuit les bus des tournées de Johnny, mais aussi du duo Souchon-Voulzy et de Maître Gims. Marie-Pierre me dirige vers un des quatre bus qui transportent l’équipe, à l’exception des musiciens qui arriveront le lendemain.

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Je voyage vers Amnéville avec les quatorze membres des équipes des lumières et du catering, la restauration. Ils arrivent d’Hossegor, Paris, Clermont-Ferrand… Entre les concerts de Strasbourg et Amnéville, ils ont passé deux jours en famille mais reviennent le cœur lourd. Soixante-douze heures après, le Bataclan est dans tous les esprits, toutes les conversations. « Je ne m’en remets pas, avoue Christian, alias Lou, le roi de la poursuite. Nous avions tous des potes au Bataclan. C’est ma famille. »

Le tour-bus est aménagé sur deux étages. En bas, quatre tables et seize places assises, deux frigos, un téléviseur que personne n’allume, les toilettes… « Juste pour le pipi, m’indique-t-on. Si t’as envie d’autre chose, Clive, le chauffeur, s’arrêtera. » En haut, seize couchettes confortables mais spartiates. Claustrophobes et géants s’abstenir. L’équipe du catering monte se coucher en premier, car elle se lève dès 5 heures pour préparer les petits déjeuners. A 2 heures du matin, on plaisante autour d’une bière. « Si j’étais toi, je monterais me coucher, me suggère Lou. Je te réveille à 5 h 30. » J’obtempère. On m’a donné la couchette du fond, au-dessus du moteur. Ça sent le bizutage.
Lou avait raison. A 5 h 30 mardi, le réveil à Amnéville pique les yeux. D’autant que je n’ai dormi que d’un œil. Le moteur du bus m’a bercé, mais les ralentisseurs des péages autoroutiers depuis Paris m’ont réveillé. Le bus est garé derrière le Galaxie, sorte de Zénith d’Amnéville. Je me dirige au radar vers la salle qui a été aménagée pour les repas : un grand café, un croissant, et je rejoins Sébastien Rakotozafy, le régisseur général, qui me briefe. On me donne un passe autocollant « technique » — qui me permet d’aller partout — et un casque de chantier. Surprise, la grande scène est prête et attend au pied des gradins. « Le travail de montage a commencé hier, me signale Momo, qui s’occupe du plateau. C’est l’une des rares tournées à avoir une scène sur roulettes. C’est indispensable pour installer en même temps les lumières et les écrans. »

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A 6 heures, je rejoins les premiers techniciens recrutés localement pour décharger le camion des lumières. Nous serons cinquante au maximum pour le montage. Jean-Marie, alias Loser, dirige les opérations de sa voix de stentor. La matinée passe vite. Il faut assembler « la ferraille » — les barres métalliques qui tiennent les éclairages —, déplacer la tête de mort de 500 kg qui doit être réparée, scotcher un tapis antidérapant sur le plateau et le nettoyer pour qu’il soit impeccable…

Rassurez-vous, les tâches complexes et sensibles, comme le montage des centaines d’écrans vidéo ou l’installation des régies son et lumière, sont confiées aux vrais spécialistes. Pas de temps à perdre. Tout est très hiérarchisé, chaque secteur a ses référents, chacun à sa place, chacun à sa tâche. Résultat : à 14 heures, tout est monté.
Sur la route toute la sainte journée, un bon roadie est un roadie bien nourri. Mais, à ma grande surprise, le Galaxie d’Amnéville, comme la plupart des salles de spectacle, a une cuisine… vide. L’équipe du « catering », qui s’occupe des repas, emporte donc tout avec elle, frigos, fours, bains-marie, plans de travail, et les installe…

Sur cette tournée, c’est la société Egg Cetera, de Grenoble, qui est aux fourneaux de 6 heures à minuit. Soit six personnes — dont trois commis recrutés sur place —, sous la houlette de Thierry. Le cuistot part chaque matin à 7 h 30 à la boutique de vente en gros Metro de Metz chercher assez de viande, de légumes et de fruits pour servir 90 couverts à midi et 130 le soir. Le montage fini, je lui donne un coup de main pour éplucher les carottes et les navets longs qui accompagneront le confit de canard du soir. « Tout est frais et préparé sur place, y compris les desserts », m’explique ce Lillois de 52 ans, qui a déjà œuvré sur les tournées de Goldman, Sardou, Maé, Higelin, mais aussi préparé les repas des Rolling Stones et de Muse au Stade de France. « Les Anglo-Saxons sont compliqués, notamment parce qu’ils mangent toute la journée », ajoute-t-il.

Avec Johnny, c’est simple. « Il est comme la plupart des chanteurs, il mange peu avant le concert. Une soupe, du chou rouge, une macédoine de légumes, des pâtes très pimentées, c’est tout. » Le soir du premier concert à Amnéville, Johnny, qui n’est pas accompagné par Laeticia, son épouse, dîne avec nous. Légèrement souffrant, il n’ira pas manger au resto après le concert, comme le veut la tradition.
Le plateau installé, le « backliner » entre en scène. Ce nom barbare désigne les techniciens chargés des instruments, les anges gardiens des musiciens. Sur cette tournée, ils sont quatre pour treize artistes sur scène, quarante guitares, une dizaine de claviers, une batterie, des cuivres… Ils installent d’abord les retours de scène (NDLR : les enceintes qui permettent aux musiciens de s’entendre pendant le show), les amplis, puis préparent les instruments. « Avec amour », sourit Christophe Merlaud. Ce Francilien de 44 ans s’occupe des harmonicas de Greg Zlap et des guitares de Yarol Poupaud, l’un des trois guitaristes de Johnny sur scène, qui est aussi son directeur artistique.

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Dans l’atelier de Christophe, blotti sous la scène, les huit guitares de Yarol Poupaud sont rangées dans des armoires molletonnées. « Avec toute la route qu’elles font dans les camions, c’est la meilleure façon de les protéger, estime Christophe. Notre travail commence bien avant la tournée, avec le choix des guitares, des amplis en compagnie du musicien. Après, on veille à ce que les guitares soient parfaitement réglées quand les musiciens arrivent. »

Spécificité de cette tournée, il y a au moins deux concerts de suite dans chaque ville. Les répétitions et la balance — le réglage du son — ont lieu le premier jour, vers 17 heures. « Il faut être d’autant plus rapide et précis, résume Christophe, qu’on travaille ici sur deux scènes — la grande et une petite au milieu du public — et qu’on gère aussi les instruments de Yodelice, qui assure la première partie à Amnéville et Paris. Pendant le concert, on change les guitares tous les deux-trois titres. De notre atelier, on regarde tout le show, au cas où un micro HF — qui relie les guitares aux amplis — tombe en panne, qu’une corde casse. »

La balance dure une heure. Sous la direction de Yarol Poupaud, les musiciens et les quatre choristes se règlent avec l’ingénieur du son — le colosse Mike Marsh, qui a travaillé avec Springsteen — sur l’acoustique de la salle. Christophe me fait une fleur. Il me laisse récupérer sur scène une guitare acoustique et accorder une guitare électrique de Yarol Poupaud. « Vas-y. Ça fait plaisir en cette période tragique qu’on mette en lumière nos métiers de l’ombre », me glisse-t-il.

La balance finie, second privilège. Yarol Poupaud m’entraîne dans la loge des musiciens. Au milieu de leurs drapeaux — écossais, anglais, français, breton, polonais —, on partage une bière. Il me chambre quand son compère guitariste Philippe Almosnino arrive : « Mais qu’est-ce que tu fais là, le roadie ? Tu peux aller me régler ma guitare, s’il te plaît ? » Yarol est si passionné qu’il trimballe dans sa loge une platine disques, où il passe d’antiques 45 tours des Stones et de… Johnny, achetés chez les disquaires des villes où il joue.
Pendant le concert, c’est relâche. J’en profite pour observer mes camarades du bus qui travaillent sur la partie visuelle du show, l’un de ses points forts. Derrière la scène, il y a Chris, le jeune Néerlandais qui gère de sa console les mouvements des six immenses écrans vidéo et de la tête de mort. A quelques minutes du concert, il est tendu. « Le plafond est plus bas que les autres salles d’un mètre cinquante, explique-t-il. Il a fallu changer tous les réglages. C’est comme si c’était le premier show. »
Chris est en liaison par casque avec l’équipe de Dimitri Vassiliu (le fils du chanteur Pierre Vassiliu) . Le maître d’œuvre des visuels de la tournée est installé au cœur de la salle, derrière la régie vidéo. La star des designeurs lumières — il fait toutes les plus grosses tournées, de Mylène Farmer à Kendji Girac — suit toujours celle de Johnny. « J’y tiens car c’est un an et demi de travail en amont avec une scénographe. Tout ce que l’on voit sur scène est évidemment programmé, mais on le déclenche et l’anime à la main. » « C’est du spectacle vivant, lance Philou, qui assiste Dimitri. Le show évolue tout le temps. »

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A trois minutes du show, ils jouent à… SimCity sur leurs tablettes. « C’est pour faire redescendre la pression », sourit Stéphane. Mais une fois le concert lancé, c’est de la mécanique de haute précision. Il note les points à améliorer et soucis rencontrés. Une poignée de détails invisibles à notre œil néophyte. Le premier soir, par exemple, un Johnny malade choisit d’écourter le concert de trois chansons. Tous les techniciens s’adaptent et le public n’y voit que du feu.
Au deuxième soir à Amnéville, mercredi, comme tous les soirs de départ, le démontage commence pendant le concert. Avec le chargement des cuisines et de la restauration dans un camion. Dès la dernière chanson, les roadies sont postés derrière le rideau, casqués et gantés. Quand le chanteur et son groupe regagnent leurs loges et les spectateurs leurs voitures, eux prennent la scène d’assaut. Johnny rejoint son jet sous escorte policière. Ses musiciens, eux, dorment à l’hôtel avant de repartir en train le lendemain.

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Pendant ce temps, en une heure la scène est déjà vide. Sous les ordres de Ronan, j’aide à monter et ranger les instruments dans leur camion, un jeu de construction extrêmement minutieux. Puis je file un coup de main à Aurélien, qui supervise avec Vincent le démontage de la scène. C’est physique et rapide. Le plus dur ? « Non ce sont les gars qui démontent les accrochages vidéo et lumières », répond Sébastien, le régisseur général, en montrant les roadies encordés au plafond. Pour me remettre, je passe dans le bus des lumières et du catering faire mes adieux. L’ambiance est conviviale, on joue, on trinque. Mais gare à l’abandon de poste ! A 2 heures, j’y retourne. Les semi-remorques sont entrés dans la salle pour charger le matériel le plus lourd. Les Fenwick sont à la manœuvre, « Loser » me laisse en conduire un. Lorsqu’il descend du sien après un dernier chargement, Sébastien a le sourire. « Il est 3 heures du matin. Record battu, le démontage a pris quatre heures. La première date, à Nice, nous avions mis 8 h 30 ! » Une douche et je vais me coucher à l’hôtel. Sébastien, Christophe, Lou, Thierry, tous repartent dans leur bus en direction de Bruxelles. Le montage recommence demain à 10 h 30…

Source : www.leparisien.fr/

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2 comments

  1. Ils sont courageux ! Mon ami British travaillais pour la société d’un très grand chanteur Anglais,il l’envoyais partout, cela lui arrivais parfois de l’accompagné ; maintenant, il est guitariste d’un petit groupe de rock,vu après avoir fini avec la société,il avais bien du faire autre chose.

  2. De l’honeur et de la gloire pour ce bataillon de travailleurs specialistes enforcés qui preparent à tour casser à l’ombre de tous les shows pour nous permetre avoir la joie de visioner et participer la merveille du spectacle de nos vedettes.
    On connait bien l’amour de Johnny pour les grands scenographies, mais malgré ça je suis devenu étonné de la quantité de gens qu’il en fallait.
    En tout cas on connait bien aussi que Johnny lui est trés prôche et que tous eux se sentent bien de faire son boulot pour lui, et on sait bien que à cause de ça ils l’apellent pas le patrón mais “l’Home”!
    Bien pour Jo-Jo et bien pour ces homes!

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